Domingo Ouret est mobilisé le 8 Octobre 1914 et intègre le 144. R.I. à Bordeaux . le régiment rejoint le front le 9 Février 1915 dans le département de la Marne. Dans ses carnets,lors du départ, Domingo se plaint du poids de l'équipement, ce qui n'est pas pour nous étonner, quand on sait qu'il pouvait peser jusqu'à 30kg!


Après son départ pour le front, le carnet , jusqu'alors rédigé exclusivement en basque, est écrit en français; Un français hésitant, que Dominique maîtrise certainement mal au début de la guerre. A ce sujet, il est à noter qu' Aitatxi écrit semble t'il assez aisément en basque, comme en français; ceci est certainement du à sa jeunesse passée comme domestique chez les frères.


Cantonné un mois durant à Baslieux-les-Fismes, un petit village, il n'est pas encore en première ligne, mais en est tout de même assez
prés pour entendre les combats d'artillerie (les 14, 15 et 17 Février).
Au début, son emploi du temps se repartit entre exercices, marches et terrassements de routes.
Domingo signale dans son carnet un avion abattu; nous sommes en 1915, l'aviation militaire est balbutiante,et il ne serait pas étonnant
qu'Aitatxi ait été témoin d'une des premières victimes de la guerre aérienne. Le spectacle est de toutes façons assez exceptionnel pour être consigné sur le carnet.


Domingo change de régiment et passe du144èmeRI au 170RI. Alors que le 144èmeR.I. était basé à Bordeaux, le 170ème lui l'est à Epinal.
Il est à noter qu' Aitatxi n'a jamais été affecté dans le 49ème R.I. de Bayonne où servaient la plupart des basques.
Ceci s'explique par le fait que si au début de la guerre les régiments correspondaient à des recrutements régionaux, très vite, le besoin de remplacer les pertes, et d'autre part, une volonté de brassage décidé par le haut commandement, mettront fin à cette pratique.
Néanmoins, il n'est pas le seul Basque dans le régiment, et ceux-ci sont visiblement en contact entre eux.


Le 3 avril Domingo, avec l'ensemble de son régiment, est témoin de l'exécution de quatre soldats; il ne fais aucun commentaire et nous ne serons jamais ce de quoi on accusait ces pauvres bougres.
C'est du moins ce que je croyais jusqu'a ce que, par curiosité, je pose la question de savoir si quelques renseignements sur ces malheureux pouvaient être trouvés sur le forum du site http://www.pages14-18.com (que je vous recommande vivement). Rolland Denis, qui tient une base donnée sur les fusillés de 14 18 m'a communiqué que ce jour là, à cet endroit là (Saint Armand), il avait les noms de 4 fusillés, Annie leur à rendu leur prénom et nous donne leur lieu de sépulture:
Marvelay Lucien du 174è RI, Pillet 72è RI, Cailleretz Joseph Charles du 8è RI et Grard Louis Joseph du 12è RI. Tout les quatre ont été condamnés pour abandon de poste en présence de l'ennemi et ont été enterrés à l'ossuaire de la Nécropole Nationale Vitry le François
Voila ce que nous dit Rolland Denis au sujet de cette affaire:
"Les lieux de sépultures signalés par Annie confirme bien qu'il s'agit de l'affaire signalée par Xan Berasategui.
Le général Bach ne parle pas de cette affaire dans son livre Il est certain que nous sommes en pleine période de répression-bavure mais la particularité de cette affaire est que ces hommes appartiennent à 4 unités différentes. Les infractions relevées contre eux sont à des dates différentes (entre le 24 février et le 13 mars), ce n'est donc pas un jugement à chaud. Ils sont tous jugés le même jour (1er avril) par le tribunal de la 4e armée. ce qui n'est pas très courrant, le conseil de guerre siège normalement à la division. Tout cela suggère des "cas graves", au sens de l'époque évidemment."

Après avoir passé le mois d' avril dans le village de Courtisols, le 170ème monte en première ligne le 30 avril et prend position aux Eparges (voir la rubrique "et pendant ce temps"), plus précisément dans la tranchée de Calonne nous précise l'historique officiel du 170ème. Là aussi, Aitatxi fais peu de commentaires, il nous signale d'une part un bombardement incessant, le fait qu'il se trouve d'autre part à 80 mètres de l'ennemi, mais nous imaginons aisément l'angoisse qui étreint un garçon de 21 ans lors de son baptême du feu.
Le véritable premier coup dur a lieu le 5 mai; voila ce que relate l'historique officiel: "le 5 Mai, il (le 170ème) repousse une forte attaque ennemie lancée contre nos lignes après un furieux bombardement." Domingo nous raconte à peu près la même chose, ajoutant néanmoins que plus de la moitié du régiment (soit plus de 1 500 hommes) est perdu, morts ou prisonniers.
Après un repos de 8 jours près de Verdun (ou Domingo ce permet même le luxe d'une douche chaude!), le 170ème monte vers le Nord et prend position le 20 mai sur le front de l'Artois, durant la première offensive, dans les tranchées situées devant Notre Dame de Lorette.
Le jour de son arrivée, il est témoin d'un nouveau combat aérien.

Le lendemain, soit le 21 mai, puis le 22, et surtout le 23, Domingo plonge dans la fournaise; au coeur de la première offensive d'Artois, le 170 attaque le 21, subit une contre-offensive le 22, et repart à l'assaut le 23... Le tableau est effroyable: Si le premier jour, Aitatxi note la prise de tranchées et 300 prisonniers Allemand, le 22 ils réussissent à stopper une contre offensive faisant 500 prisonniers; Domingo nous décris néanmoins l'anéantissement de 3 compagnies (soit 600 hommes).
Mais le pire reste à venir, le dimanche 23 Mai à 14h35 le régiment repart à l'attaque après avoir subit un bombardement nourri; S'ils prennent 6 tranchées, les pertes sont très lourdes, et Domingo nous parle d'une journée de massacre...
A 17h30 un obus explose et tue les 10 compagnons de Domingo; seul survivant, il est gravement blessé au dos et regagne comme il peut le poste de secours avant de s'évanouir.
Il est à noter que le lendemain le régiment attaque à nouveau; Domingo lui est évacué en automobile puis en train vers un hôpital de la croix rouge à Houlgate, station balnéaire sur la côte Normande.


Il y reste pratiquement un mois en convalescence (du 26 Mai au 21 Juin). On imagine qu' après l'enfer connu, la douce  ville côtière Normande lui semble un eden.
Le 21 Juin, le Major de l'hôpital estime le soldat Ouret guéri et une permission lui est accordée.
Lors du voyage qui le mène de la Normandie au Pays Basque, il fait une halte dans la capitale.
Découvrant pour la première fois Paris, il ne peut s'empêcher d'admirer la ville lumière et notamment son "tramway sous-terrain".
Seconde Halte à Bordeaux, ou il rend visite à diverses connaissances, dont bien évidemment sa mère Marie Ouret.
Le 24 Juin, il arrive enfin à Suhescun, son village et retrouve sa famille: Il aura fallu 6 mois et une sérieuse blessure pour que Domingo puisse retrouver les siens.
La permission dure 10 jours et on le sent heureux entre les siens. L'heure du départ approche et dans ces nombreuses prières, Domingo demande une rallonge pour pouvoir effectuer les travaux des champs... on devine bien que ce n'est pas là l'unique raison.
Le 3 Juillet Dominique Ouret part en direction d'Epinal ville ou est stationné le 170ème, le voyage dure 55 heures!

Epinal, Domingo y reste tout l'été; dans la plus grande inactivité, les journées monotones se déroulent au rythme de la vie de caserne, alternant gardes, corvées et autre exercices. Les départs de contingents (et la joie de ne pas en être) sont les principales nouvelles liées à la guerre. Celle-ci est loin , une lettre retournée lui fait deviner le décès d'une connaissance. Mais cette bienheureuse inactivité ne pouvait être éternelle et le 24 septembre 1915 Domingo reçoit l'ordre de retourner au front. Il rejoint le front en champagne au coeur donc de la mêlée, et est affecté au 103è R.I., en pleine offensive Française.


L'offensive générale est lancée le 26 septembre et la supériorité numérique des Français sur les allemands est de l'ordre de 4 pour 1.
Les débuts sont prometteurs pour les Français et Domingo, en route pour le front, en a vent. Le 27, il mentionne la canonnade française, mais lorsqu'il arrive en première ligne le 29 il ne peut que constater le nombre effarant de blessés, et même s'il annonce le 30 que les français ont avancé, l'offensive est déjà un échec; les allemands depuis longtemps au courant de l'offensive tienne solidement la seconde ligne, et lance même des contres offensives comme celle que subit Aitatxi le 2 Octobre.
Les jours suivants, le soldat Ouret est plongé dans la fournaise de l'offensive et échappe de peu à un bombardement aérien; le 5 Octobre, Domingo parle pour la première fois de bombardement au gaz, que Domingo dénomme en basque "obus pozoinduak" (les obus empoisonnés).
Le 8 Octobre il nous signale la perte de 1 000 hommes au 170è au quel il sera réaffecté pour compenser les pertes;
le même jour, dans un souci évident de sauver sa vie, il demande dans ses prières une blessure benigne.
La version officielle donné par l'historique officiel du 170è vaut son pesant d'or:
"Depuis le 2, il a  été  soumis  à  un  bombardement violent; mais  rien n'arrête son élan et, en dépit de tous les obstacles et de la résistance ennemie, il atteint rapidement la gare de Somme-Py. Malheureusement les troupes voisines sont arrêtées par les défenses insuffisamment, détruites; le 170e s'enfonce comme une flèche dans les lignes ennemies; une contre-attaque le contourne et le coupe des lignes françaises. La gare de Somme-Py doit être abandonnée après une superbe résistance".
Une autre source nous décrit les évènements du 6 octobre; il s'agit des mémoires du marquis de Beaucorps, officier du 170ème R.I., qui m'ont été gracieusement fournies par Jacques Barbot. Voila ce que nous dit:
"La 48ème Division, la nôtre, avait attaqué le 6 Octobre à la ferme de Navarin et avait percé le front allemand, mais les 2ème et 3 ème bataillons du 170 et un bataillon du régiment marocain, qui menaient l'attaque, n'ayant pas été suivis, se trouvèrent encerclés et en partie anéantis après une lutte très dure. Notre 2ème bataillon, parti à l'effectif de 700 hommes et de 13 officiers, était revenu avec seulement 125 hommes commandés par un adjudant."
Ce même jour Domingo demande pour la première fois dans ses prières une blessure qui l'éloignerai de l'enfer et de la mort.
Le 170è est mis au repos le 11, 12, et 13 puis remonte en première ligne; à partir de là, il n'est plus question d'attaque et les Français se "contentent" visiblement de tenir les lignes et  Aitatxi parle surtout de bombardements et se plaint du froid. Comme tout ses compagnons, il craint aussi ces tours de garde en poste avancé: le 24 Domingo mentionne un tour de garde de deux heures et demi à 30 mètres seulement de l'ennemi !
Le mois de Novembre se déroule exactement de la même manière: froid, gel, et front calme sinon la peur des tours de guarde au petit poste...
Le 22 Novembre, le 170ème régiment est relevé par le 354ème. Ce même jour Domingo nous signale un combat aérien de grande ampleur.

En seconde ligne, les soldats se reposent; Domingo apprécie la paille propre et il n'est pas difficile de deviner les pensées des gars du 170è lorsqu'ils voient passer deux régiments descendre de première ligne les uniformes couverts de boue
Le 06 décembre Domingo est reçu à l'examen de clairon
.
Etre clairon, cela signifie être exempté de toute corvée, être prioritaire au réfectoire, et autres menus avantages. Par contre, au feu, il faut être prés des chefs, ce qui est loin d'être une planque...

Le 9, 10, et 11 décembre, le régiment se déplace : 3 jours de marche soit 70 km et est cantonné à Brillon près de Bar le Duc et ce jusqu'à la fin de l'année.

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Sinthèse de l'année 1915:

Dominique Ouret monte trois fois en 1ère ligne:

- du 30 avril au 6 mai aux Eparges, ils repoussent une attaque, subissant de nombreuses pertes
- du 21 mai au 24 mai il est en Artois à Notre Dame de Lorette, où il est blessé
- du 29 septembre au 22 novembre il est sur le front de champagne, à la fin de la seconde bataille, où il se plaint surtout du froid.

A l'arrière, quatre grandes étapes:

- du 1er janvier au 9 février, il est au camp de Souges près de Bordeaux
- du 10 février au 22 mars il est cantonné à Baslieux les fismes en champagne
- du 26 au 21 juin il est en convalecense à Houlgate en Normandie
- du 3 juillet au 24 septembre, il est cantonné à Epinal la caserne du 170ème

Domigo bénéficie d'une permission de 10 jours à Suhescun au bout de 6mois et une blessure

Il a écrit 273 lettres (soit plus d'une lettre tout les deux jours), et en reçoit 195 (soit une lettre tout les deux jours).